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des arts A. Malraux

William Eggleston, “Algiers, Louisiana”, vers 1972

Dye-transfer

William Eggleston, Algiers, Louisiana, vers 1972 ; Dye-transfer (transfert de colorant), 42,7 x 28 cm ; MoMA, Museum of Modern Art, New York, États-Unis

 

Développée à des fins scientifiques, la photographie couleur reste longtemps méprisée dans les milieux de la photographie et doit affronter les assauts de la critique, qui n’y trouve aucune valeur artistique.

En 1861, le physicien et mathématicien écossais James Clerk Maxwell (1831-1879) présente la première photographie en couleurs durable (Ruban de Tartan, 1861 ; Musée d’Orsay, Paris). Le système de trichromie dont il est l’inventeur – une première version du procédé additif à base de rouge, de vert et de bleu, soit un procédé permettant l’obtention d’un grand nombre de couleurs à partir des seules 3 couleurs primaires – suppose la prise de 3 photographies identiques, réalisées chaque fois avec un filtre correspondant à une couleur primaire différente, et la combinaison de celles-ci pour créer un composite coloré.

En 1868, Louis Ducos Du Hauron (1837-1920) présente à son tour une photographie en couleurs (Photographie en couleurs d’Agen, 1877), et dépose le brevet du processus soustractif, qui implique la superposition d’images identiques exposées à la lumière orange, verte et violette. Cette technique est à la base du dye-transfer (processus d’impression photographique couleur à tons continus, particulièrement utiliser pour l’impression des films Technicolor et des affiches publicitaires).

En 1907, les pionniers du cinéma Auguste (1862-1954) et Louis (1864-1948) Lumière lancent la production de l’autochrome (cf. Lilas, vers 1898 ; Paul Getty Museum, Los Angeles, États-Unis) – dont ils sont les inventeurs (premier procédé en couleurs à connaître un succès commercial) : la couleur est alors obtenue à partir d’une couche composée de minuscules grains d’amidon de pomme de terre teintés en rouge orangé, vert et bleu-violet, et de noir-fumée.

Les recherches se poursuivent ensuite jusqu’à l’invention du Kodachrome en 1935, dont le procédé est encore moins rudimentaire. Toutefois, les critiques et la plupart des photographes rejettent cette couleur qui, selon eux, ne fait que détourner l’attention de la composition et des effets de lumière de l’image. Pour certains, la couleur n’est qu’un gadget réservé aux touristes non aux photographes de métier. L’utilisation de la couleur dans la photographie « sérieuse » vient donc beaucoup plus tard et s’impose grâce à une nouvelle génération de photographes, notamment avec les travaux de William Eggleston (1938-).

Nourrit par les photographies de Robert Frank (dont le livre Les Américains, 1958, constitue une véritable révolution en révélant l’écart entre l’image du pays traditionnellement livrée et la réalité) et d’Henri Cartier-Bresson (auteur de Le Moment décisif, 1952), William Eggleston ne néglige guère le pouvoir de l’instantané (pouvoir mémoriel, sentimental et d’identification) et décrit sans détour des scènes de la vie quotidienne où personnes anonymes et objets ordinaires sont parfaitement centrés sur l’image – rendant fascinante la banalité du quotidien.

C’est au milieu des années 1960 que William Eggleston commence à photographier en couleur. Il adopte la technique du dye-transfer avec laquelle il obtient des effets frappants : « la saturation des couleurs et la qualité des encres étaient incroyables ! J’étais impatient de savoir à quoi ressemblerait une photographie d’Eggleston imprimée avec cette technique. Les photographies que j’ai tiré par la suite avec ce procédé ont toutes eu une apparence fantastique, et chacune m’est apparue meilleure que la précédente ».

En effet, la technique du dye-transfer confère une qualité étrange, surréelle, aux images de la vie quotidienne réalisées par William Eggleston : qu’il s’agisse de l’image d’un tricycle photographié en contre-plongée sur le trottoir devant sa maison (Memphis, c. 1969), d’une table de repas prêt à être consommé (Summer, Mississippi, c.1972), ou d’une ampoule fixée à un plafond rouge sang (Greenwood, Mississippi, dit aussi The Red Ceiling, 1973), toutes nous frappent par leurs coloris saturés et inhabituels.

De son côté, Algiers, Louisiana, qui fait partie de l’ouvrage William Eggleston’s Guide, attire l’œil par ses tons éclatants de jaune et d’orange au premier plan – du pelage du chien à la flaque d’eau au sol. Le contraste avec la blancheur de la maison et du toit de la voiture à l’arrière-plan est net.

Bien que son intérêt pour les activités artistiques – dont la photographie – et l’observation du monde qui l’entoure remonte à ses années universitaires, il faut attendre les années 1970 pour que l’œuvre de William Eggleston soit reconnue : l’exposition de ses photographies représentant la vie quotidienne en Amérique, au MoMA, en 1976, constitue un tournant en faisant évoluer l’opinion de la critique sur le statut de la photographie couleur, et en rejetant l’idée selon laquelle la photographie monochrome constituerait le seul médium à prendre au sérieux.