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des arts A. Malraux

Timothy H. O’Sullivan, ” Une moisson de morts “, 1863

Épreuve à l’albumine argentique, 17,8 x 22,1 cm ; The J. Paul Getty Museum, Los Angeles, États-Unis

Timothy H. O’Sullivan, Une moisson de morts, 1863 ; épreuve à l’albumine argentique, 17,8 x 22,1 cm ; The J. Paul Getty Museum, Los Angeles, États-Unis

 

Lorsqu’elle apparaît, la photographie inaugure immédiatement de nouvelles ères et formes de représentation du réel : cette dernière devient objective car le réel impressionne directement le support ; la photographie peut donc être un témoin historique du réel. Des reportages de guerre aux enquêtes politiques et sociales, en passant par le sport, la vie culturelle ou le divertissement, le photojournalisme s’impose rapidement dans la vie quotidienne.

La photographie joue pour la première fois un rôle d’importance dans les médias de masse lorsque Roger Fenton [(1819-1869) photographe britannique, premier photographe de guerre] prouve sa maîtrise sur le terrain de la guerre de Crimée – faisant entrer la guerre dans les foyers. Toutefois, les longs temps d’exposition ne l’autorisent qu’à représenter les champs de bataille ravagés après le combat (quoique sans montrer aucun corps, les photographies de Roger Fenton offrent une vision effrayante du conflit – qui laisse au regardeur le soin de se représenter l’horreur qui a pu se jouer là).

Dix ans plus tard, les reportages sur la guerre de Sécession américaine révèlent toutes les possibilités du médium : Mathew Brady (1822-1896) et ses équipiers, dont Timothy H. O’Sullivan (1840-1882) fait partie, s’intéressent davantage au coût humain de la guerre de Sécession, et aux figures militaires et politiques qui se démarquent dans les 2 camps.

Après avoir été l’apprenti de Mathew Brady durant son adolescence, Timothy H. O’Sullivan devient l’un des plus importants photographes de la guerre de Sécession : il est l’un des 10 photographes que Mathew Brady engage pour rapporter des images de la guerre, photographier les personnalités importantes et les campements militaires, et se rapprocher autant que possible du champ de bataille. Selon Mathew Brady, les clichés qui en résultent présentent au grand public « l’œil de l’histoire », et les photographies de Timothy H. O’Sullivan transforment radicalement le photojournalisme aux États-Unis.

La bataille de Gettysburg est la plus sanglante de cette guerre (50 000 soldats tués en 3 jours au début du mois de juillet 1863). Sur ce cliché [dont le titre est donné à posteriori par Alexander Gardner [(1821-1882) photographe de guerre américain d’origine écossaise, célèbre pour ses photographies de la guerre de Sécession et ses portraits d’Abraham Lincoln] dans son livre Gardner’s Photographic Sketch Book of the Civil War (1866) – qui comprend certaines des images les plus emblématiques de ce conflit], Timothy H. O’Sullivan photographie le paysage désolé et funèbre juste après les combats ; le sol est encore jonché du corps des victimes dont la plupart ont été dépouillées de leurs chaussures. Le photographe ne s’approche pas trop des corps pour ne pas choquer le public, mais la rangée de corps au premier plan suffit à évoquer l’horreur de la bataille. À l’arrière-plan, les deux cavaliers, à l’allure fantomatique, permettent de mesurer l’étendue du combat et symbolisent la persistance de la vie après la tuerie. Le malaise créé par cette image, crue et directe, est encore intensifié par la brume – linceul funèbre – qui envahit la scène. Ici, la nature ne semble pas affectée par le combat : sans les corps éparpillés sur la terre, on pourrait voir là une scène pastorale idyllique.

Si la photographie de guerre donne d’abord des nouvelles de l’issue des combats, rapidement, elle remet en question les motifs mêmes de la guerre : durant la Première Guerre mondiale, les avancées techniques permettent de prendre des vues aériennes des champs de bataille et de s’approcher des tranchées pour rendre compte des terribles conditions que doivent affronter les soldats. Durant la Seconde Guerre mondiale, les reportages suivent des scénarii traditionnels en la présentant comme juste. C’est avec la guerre d’Espagne que le photojournaliste délaisse sa neutralité pour remettre en question les raisons du conflit. Cette tendance s’accentue au cours du XXe siècle, notamment durant la guerre du Vietnam. Mais ceci est l’histoire d’une autre photo…