ville de Douarnenez centre
des arts A. Malraux

Nick Ut, “ Phan Thị Kim Phúc ”, 1972

épreuve argentique

Nick Ut, Phan Th Kim Phúc , 1972 ; épreuve argentique ; © Nick Ut

 

À quoi tient la force d’une photographie ? À sa grâce, son magnétisme, son pouvoir d’interpellation ? Comment se peut-il que dans un déluge d’images il en est une, une seule, pour accrocher le regard et marquer à jamais les mémoires ?

Une image possède parfois, à elle seule, le pouvoir d’influencer les pensées et les agissements du public. Par exemple, les guerres successives mettent en évidence la capacité des images à manipuler une population ou à rallier son soutien : ainsi, la première guerre mondiale pousse les gouvernements à avoir recours à une propagande de grande ampleur pour laquelle la photographie apparaît comme l’un des instruments privilégiés de persuasion des masses. Plus tard, dans les années 1920, notamment après la mort de Vladimir Ilitch Lénine (1870-1924), les stratégies de propagandes se sophistiquent : d’abord mise au service d’une révolution promettant de mettre fin au féodalisme, l’avant-garde russe, avec elle la photographie, fait partie des moyens de répression brutaux mis en œuvre par le nouveau régime de Joseph Staline (1878-1953). Son efficacité ne laisse aucun doute et sera employée par le régime nazi dans les années 1930.

Dans un autre registre, les portraits photographiques – au sein du photojournalisme – deviennent un moyen essentiel de représenter les puissants, dont ils renforcent l’image publique (longtemps, la photographie confère à ses sujets une légitimité dont ils se servent pour asseoir leur pouvoir). Mais les photojournalistes exposent parfois des événements sous un angle contredisant celui du pouvoir en place. Et bien que le photojournalisme n’ait pas pris le pouvoir aux puissants, il en a au moins donné (un peu ?) À celles et ceux qui s’y opposent. S’il couvre l’actualité politique de manière générale, le photojournalisme joue aussi un rôle dans l’évolution des sociétés : par exemple, en révélant au grand jour la misère de certains milieux sociaux (cf. Une histoire de la photographie # 4 : Frank Meadow Sutcliffe, The Mudlarks, vers 1880 ; Une histoire de la photographie # 12 : Walker Evans, Washroom in the Dog Run of the Burroughs Home, Hale County, Alabama, 1936 ; Une histoire de la photographie # 13 : Dorothéa Lange, Migrant Mother, 1936) ou en suscitant une indignation publique. Ainsi, la photographie emblématique de Nick Ut [Nick Ut Cong Huynh, né Huỳnh Công Ut, dit ~ (1951-) photographe et photojournaliste américano-vietnamien], Phan Th Kim Phúc (1972), a accéléré le retrait de l’armée américaine au Vietnam.

C’est en tant que photojournaliste, sur les champs de bataille du Vietnam, que Nick Ut fait ses armes (il est employé par l’Associated Press dès l’âge de 16 ans, et continue de travailler pour l’agence malgré avoir été blessé à 3 reprises lors du conflit vietnamien) : ce cliché en particulier – célèbre et terrifiante image – reflète l’absurdité scandaleuse de la guerre.

Le 8 juin 1972, les forces aériennes sud-vietnamiennes larguent par erreur des bombes au napalm sur le village de Trang Bang, à 4 km au nord-ouest de Saïgon. En avançant vers le village, Nick Ut aperçoit un groupe d’enfants courant vers lui, dont une petite fille, nue, en larmes. Au moment où le photographe appuie sur le déclencheur, il comprend que l’enfant, Phan Thị Kim Phúc, 9 ans, a eu le corps brûlé par le napalm : elle est happée par les flammes, sa nuque, son dos et son bras gauche sont en feu, ses vêtements ont été réduits en cendre. La petite Kim est immédiatement conduite à l’hôpital civil, où les médecins se montrent pessimistes sur ses chances de survie ; puis elle est transférée dans un hôpital militaire américain, qui lui sauve la vie… mais ceci est une autre histoire… *

La nudité infantile étant censurée, les organes de presse hésitèrent à publier l’image ; ils décidèrent finalement de faire une exception. Mais sur le cliché, ce sont surtout la peur et la douleur s’imprimant sur le visage des enfants qui choquent, et l’apparente indifférence des soldats qui les entourent dérange davantage. Une fois publiée, la photographie devint une icône du mouvement contre la guerre au Vietnam et fit se développer l’opposition à la poursuite dudit conflit dans l’opinion publique américaine.

 

* Bien sûr, la souffrance ne s’arrête pas là et est double. La douleur physique d’abord est incommensurable et ne disparaît pas au fil des 14 opérations et greffes subies dans les années suivantes ; la douleur est également profondément psychologique : « Je ressentais colère, amertume. J’étais sans espoir, tout était négatif. J’ai pensé à mourir. Je savais que je ne pourrais pas vivre comme cela éternellement », « j’avais tant de questions, tant de pourquoi : pourquoi moi ? Pourquoi cela est-il arrivé ? Il me fallait des réponses ». « J‘ai longtemps voulu fuir cette petite fille plongée dans le chaos de la guerre du Vietnam. Mais la photo m’a toujours rattrapée. De partout des gens surgissaient en disant : « c’est bien vous ? Quelle horreur ! » Et j’avais l’impression d’être doublement victime. Et puis j’ai décidé que ce qui m’apparaissait comme une malédiction avait aussi été ma chance. Et qu’il me revenait de choisir le sens à donner à cette photo. » Elle illustrait l’épouvante de la guerre ? « Je deviendrai une ambassadrice de la paix ».