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des arts A. Malraux

Lewis W. Hine, “ Steamfitter ”, 1921

Papier au gélatino bromure, 42,1 x 30,9 cm ; The MET, The Metropolitan Museum, New York, États-Unis

Lewis W. Hine, Mécanicien à la pompe à vapeur dans une centrale électrique, 1921 ; papier au gélatino bromure, 42,1 x 30,9 cm ; The MET, The Metropolitan Museum, New York, États-Unis

 

Dès le XIXe siècle, dans un monde de plus en plus mécanisé et densément peuplé, les images reflètent la complexité de la société tout en soulignant certaines de ses faiblesses. Qu’il s’agisse de montrer la croissance des villes ou de rendre compte d’un conflit, la photographie devient le moyen idéal de montrer la rapidité des mutations du monde.

Formé comme sociologue à l’Université de Columbia, Lewis W. Hine (1874-1940) utilise la photographie pour prôner des réformes sociales. Sa conviction du pouvoir de l’image photographique lui vient des 5 années qu’il passe, entre 1904 et 1909, à photographier les migrants qui débarquent à Ellis Island. Il réalise ensuite plusieurs séries sur le travail de la Croix Rouge durant la Première Guerre mondiale et sur la construction de l’Empire State Building.

En 1908, Lewis W. Hine abandonne son poste d’enseignant pour devenir enquêteur en chef et photographe à plein temps pour le NCLC (National Child Labor Committee) : cet organisme privé a pour mission de promouvoir une législation visant à protéger les enfants contre leur exploitation au travail menée par l’industrie américaine. Des enfants âgés d’à peine 4 ans travaillent alors 8 à 12 h par jour dans les usines, les entreprises, les rues (cf. Lewis W. Hine, Mill Children # 440, South Carolina, 1908 ; tirage gélatino argentique, 11,9 x 16,9 cm ; The MET, The Metropolitan Museum, New York, États-Unis)… Dans ce contexte, les images résolument peu romantiques de Lewis W. Hine constituent une arme de persuasion toute puissante ! Et le succès du NCLC dépend en grande partie de sa capacité à influencer l’opinion publique : les premières photographies de Lewis W. Hine impulsent des réformes législatives sur le travail des enfants aux États-Unis.

Au cours de ses 16 années de travail au service du NCLC, Lewis W. Hine voyage souvent incognito, parvenant à pénétrer dans les diverses entreprises en tant qu’inspecteur en assurances. Sillonnant tout le pays, infiltrant ses nombreuses mines, fermes, conserveries, ateliers textiles et clandestins, Lewis W. Hine produit plus de 5 000 négatifs exposant des enfants au travail – lesquels ont été distribués en grand nombre à la presse et reproduits sous forme d’affiches et dans les livres, brochures, bulletins et rapports du CNLC.

Après l’œuvre pionnière réalisée pour le NCLC, Lewis W. Hine élargit son champ d’investigation – à l’instar d’une photographie documentaire proche du militantisme – pour s’intéresser à tous les aspects de l’industrialisation croissante du pays et aux conditions de vie de la classe ouvrière : pour Lewis W. Hine, il s’agit de montrer que ce sont bien les hommes, et non les machines, qui produisent la richesse résultant de l’industrialisation. Car son enthousiasme pour la mécanisation de la société américaine est tempéré par son observation des conditions de travail que subit une main-d’œuvre de plus en plus nombreuse.

Cette photographie emblématique de Lewis W. Hine, parue en 1921, fait partie d’une série réalisée au cours de la décennie à l’intérieur des centrales électriques du pays. Elle célèbre le travailleur en tant que noble contributeur à l’industrie : en soulignant chacun des pivots et jointures, le photographe exprime sa fascination pour la puissance industrielle, tout en insistant sur le fait que la machine ne peut fonctionner que grâce au labeur d’une main-d’œuvre humaine. L’homme et la machine entretiennent une relation symbiotique : se courbant pour l’objectif, le travailleur saisit sa clé ; sa silhouette épouse soigneusement les lignes de la conduite de vapeur et de la culasse. Cependant que la clé constitue un pont entre le métal et la chair, une inspection minutieuse de l’image révèle que celle-ci n’épouse pas parfaitement son écrou – de telle sorte que l’ouvrier s’inscrit dans un cercle parfait et incarne une image iconique du travail industriel.

Avec cette photographie efficace et savamment construite, Lewis W. Hine transforme le mécanicien solitaire en symbole de l’industrie humaine. Cette photo préfigure les clichés soviétiques des années 1920 et 1930, dont on trouve l’écho dans le livre de Lewis H. Hine (Men at work, 1932) – centré sur la construction de l’Empire State Building.