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des arts A. Malraux

László Moholy-Nagy, Photogramme, 1939

Épreuve gélatino-argentique, 50,2 x 40,1 cm ; MoMA, Museum of Modern Art, New York, États-Unis

László Moholy-Nagy, Sans titre, 1939 ; épreuve gélatino-argentique, 50,2 x 40,1 cm ; MoMA, Museum of Modern Art, New York, États-Unis

 

Dans les années 1920, László Moholy-Nagy (1895-1946) est une figure clé de la Staatliches Bauhaus (école d’art et de design fondée à Weimar en 1919 par Walter Gropius). L’école, comme l’artiste, prône l’alliance de l’art et de la technologie ou de l’industrie, ne fait aucune distinction entre beaux-arts et arts appliqués.

Créée sans appareil photographique, cette image énigmatique entre en résonnance avec des thèmes et problématiques qui parcourent toute l’œuvre de l’artiste – tels que ses clichés de rue pris en plongée et ses prises de vue de l’école du Bauhaus à Dessau. Pour réaliser ce cliché, le photographe fait passer la lumière à travers une diversité de fluides et d’objets pour produire les formes que l’on voit apparaître.

Quand il commence ces expériences vers 1923, László Moholy-Nagy utilise du papier à noircissement immédiat, puis se met à utiliser du papier gaslight (papier à émulsion au chlorure d’argent, plus sensible à la lumière). En résulte un photogramme aux effets radicaux : à regarder cette photo, on cherche d’abord instinctivement à retrouver un ordre familier, mais les jeux de lumière subvertissent toute perspective traditionnelle, à commencer par la profondeur de champ ; il s’agit peut-être moins d’une image que d’une série de superpositions, de fragments d’images placés l’un sur l’autre. Avec ses photogrammes, László Moholy-Nagy met en valeur le potentiel artistique de la photographie et en fait l’égale de la peinture.

Or, comme on le sait, la relations entre la photographie et l’art à longtemps oscillé entre alliance mutuellement bénéfique et hostilité déclarée. À l’origine, de nombreux artistes adoptent la photographie, travaillent avec elle :

Eugène De Lacroix, Édouard Manet, Edgar Degas, et d’autres encore s’emparent du médium, produisent eux-mêmes des photographies et s’en servent dans leur processus de création. Plus tard, des artistes se tournent vers la photographie, ne cherchant pas seulement à la rapprocher de la peinture – à l’instar du pictorialisme – mais se livrant surtout à de nouvelles expériences formelles : les expériences cubistes jettent les prémices de la photographie d’avant-garde, et Dada et le surréalisme reconnaissent rapidement le potentiel du jeune médium

(cf. Une histoire de la photographie # 7, Man Ray, Le violon d’Ingres, 1924). Puis, comme susmentionné, sous la république de Weimar, la photographie se voit intégrée au programme de la Staatliches Bauhaus grâce à

László Moholy-Nagy, qui domine la scène culturelle avec ses paysages géométriques et ses photogrammes.

Le photogramme est une photographie réalisée sans appareil photo ; le procédé – employé par les pionniers de la photographie et comme divertissement pour les enfants dès le XIXe siècle – permet d’obtenir des images qui présentent une profondeur de champ trompeuse, jouent avec l’espace et la lumière, et peuvent être extraordinairement belles ; il a été adopté par des scientifiques, des artistes et des photographes amateurs.

Le processus est assez simple : il consiste, dans une chambre noire, à placer des objets sur une feuille de papier photographique, photosensible, qui est ensuite exposé à la lumière, puis traitée, lavée et séchée. L’image qui en résulte – combinaison de détails des objets et d’effets de lumière – peut évoquer une radiographie. Plus les objets et leur placement sur le papier / dans l’espace sont imaginatifs, plus la composition finale est complexe (les photogrammes de László Moholy-Nagy et les rayographies de Man Ray sont de bonnes illustrations de ces expériences. Les artistes Dada ont trouvé dans le photogramme une occasion unique de s’intéresser à la photographie ; le mouvement reposant sur une rébellion contre les normes et les conventions sociales, quel meilleur moyen de bousculer la pratique photographique que de se débarrasser totalement de l’appareil photographique ?).