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des arts A. Malraux

Cindy Sherman, “Sans titre # 92” – “Sans titre # 96”, 1981

2 tirages chromogènes

Cindy Sherman, Untitled # 92 | Untitled # 96, 1981 ; 2 photographies couleur : tirages chromogènes ; 61 x 121,9 cm chacun ; MoMA, Museum of Modern Art, New York, États-Unis

 

Obsédée par l’apparence dès son adolescence et déçue par les limitations de la peinture – qu’elle étudie à l’Université d’État de New York à Buffalo –, Cindy Sherman (1954-) se consacre entièrement à la photographie et à la vidéo pour explorer et déconstruire l’identité et le genre. Depuis le milieu des années 1970, au sein du groupe Pictures Generation – qui détourne les images de la société de consommation et de la culture médiatique qui l’ont vu naître – l’artiste fait du questionnement des notions d’individualité et d’originalité l’un des sujets centraux de son œuvre ; elle s’intéresse particulièrement à l’expérience des femmes dans un monde fait pour les hommes : ses œuvres jettent une lumière crue sur l’expérience féminine.

Au travers de ses autoportraits, Cindy Sherman su crée une relation complexe entre le regardeur et le sujet, et explorer subtilement les questions de genre et d’identité : modèle de ses propres œuvres, elle adopte différents rôles devant l’appareil, transformant son apparence à l’aide d’accessoires et de maquillage. L’artiste rement ainsi en cause les conventions qui régissent l’identité sexuelle, se penche sur différents stéréotypes et exprime la dangerosité de l’influence exercée par les médias de masse sur chaque individu de la société. Par ce geste, elle fait preuve d’un art singulier de la confrontation, flattant ironiquement l’ensemble de la société, forçant le public à voir ce qu’il préfèrerait éviter de regarder et en l’invitant à remettre en question ses opinions et préjugés par une réflexion personnelle.

Autrement dit, ses mises en scènes cherchent à décrypter les mécanismes des modes de représentation stéréotypés du corps et de l’identité féminine. Ainsi, au cœur d’œuvres inspirées par l’imagerie populaire, Cindy Sherman interprète les codes de modèles conventionnels véhiculés par la culture de masse (elle situe ses personnages dans des cadres variés qui évoquent le cinéma, le soap, la presse à scandales, la publicité ou l’histoire de l’art) : par exemple, elle imite avec soin les tropes et techniques du cinéma en réalisant des images fixes qui semblent directement extraites de films, réinventant chaque femme à travers des expressions, poses, costumes, décors et angles de vue soigneusement travaillés.

Deux de ces clichés font partie de la seconde série de photographies en couleur réalisées par l’artiste. La première série, où elle figure sur fond de divers écrans, évoque la période glorieuse du cinéma et de la télévision (cf. Cindy Sherman, Untitled # 70, 1980 ; photographie couleur : tirage chromogène, 40,7 x 60,8 cm ; MoMA, Museum of Modern Art, New York, États-Unis), tandis que celle-ci, dite des Centerfolds, explore la représentation de la femme dans les magazines pornographiques. Commandée par Artforum, chacune des photographies de ce portfolio doit apparaître dans une double page au centre du magazine – à la manière des doubles pages de Playboy.

Les clichés dépeignent les avatars shermaniens de la pin-up, allant de la séductrice à la ménagère en passant par la femme effrayée et violentée, telle que sur ces deux photographies semblant saisir un moment de détresse. Les clichés exposent une jeune femme pudiquement vêtue – dont l’uniforme scolaire (chemisier blanc et jupe à carreaux) insinue la sexualisation malsaine de l’enfance ou la jupe légèrement relevée suggère le viol –, aux mains parfaitement manucurées (résolument posées à plat sur le sol ou tenant une annonce qui laisse à penser qu’elle vient de composer un numéro ou s’apprête à le faire), aux cheveux mouillés ou au visage rougi, accroupie ou étendue sur le sol (mais pourquoi donc est-elle au sol ?), le regard terrorisé témoignant d’une lutte invisible, hors cadre (regarde-t-elle son agresseur ?) ou perdu dans le vide (comme dans les projets suivants, l’artiste détourne constamment le regard vers le côté)… la vulnérabilité du sujet est accentuée par la perspective que le regardeur est contraint d’adopter (en plongée). Tantôt, la jeune femme est plongée dans l’obscurité, quoiqu’une lumière vive et crue (celle d’une lampe de poche ou de phares de voiture ?) vient frapper son visage, tantôt la couleur orange crée une atmosphère presque kitsch. Dans chaque image un récit est suggéré mais non explicité.

En privant ses photographies de titre, donc le public de message, Cindy Sherman fait de ces photographies plus qu’une parodie : elle questionne à la fois, de manière ouverte et dérangeante, le mode de représentation et la réception de telles images.