des arts A. Malraux
André Kertész, “ La Fourchette ”, 1928
Épreuve gélatino-argentique, 19,2 x 24,7 cm ; Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, Paris, France
André Kertész, La Fourchette, 1928 ; épreuve gélatino-argentique, 19,2 x 24,7 cm ; Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, Paris, France
À l’origine, de nombreux artistes adoptent la photographie pour l’intégrer à leur processus de création (Eugène Delacroix, Gustave Courbet, Édouard Manet, Edgar Degas, Paul Cézanne, Paul Gauguin, etc.) ; d’autres s’emparent du médium sans chercher seulement à le rapprocher de la peinture mais se livrent surtout à de nouvelles expériences formelles.
André Kertész (1894-1985), dont la renommée n’est, d’après lui, pas à la mesure de son talent, s’essaie très tôt à des expériences stylistiques et des points de vue originaux faisant naître chez lui le souci permanent de concilier la forme et le contenu. Selon lui, l’art du photographe consiste en « une découverte continuelle qui demande de la patience et du temps ». C’est à force de détermination et de concentration qu’un photographe peut rendre tout le sens d’une image ; toute manipulation technique s’apparente à une trahison du réel.
Cette photographie (plutôt virtuose, non ? malgré la banalité du sujet et son apparente simplicité) frappe par le relief accordé à chaque élément : de la table à l’assiette, de la fourchette à son ombre – interrompue pas le bord plat puis se déployant à nouveau, difforme, sur le bord de l’écuelle. Le fin rebord horizontal de la table, qui s’étend sur toute la moitié de l’image, contraste avec les courbes de la vaisselle et du couvert.
Une telle nature morte ne saurait réduire le genre à un assemblage d’objets, mais consiste en l’étude visuelle d’un objet du quotidien, tiré du milieu domestique – qu’elle défamiliarise en le montrant sous un angle inédit.
Si de nombreux artistes de cette génération tendent à concilier fonction et esthétique, c’est précisément ce que cette image parvient à faire en créant un motif séduisant sans dédaigner le rôle pratique de l’ustensile – qui donne son titre à l’œuvre. D’ailleurs, si l’image fut d’abord exposée dans les galeries, elle servi également dans une publicité pour les couverts Bruckmann-Besteck.