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des arts A. Malraux

Alfred Stieglitz, L’entrepont, 1907

Photogravure, 33,5 x 26,4 cm ; The J. Paul Getty Museum, Los Angeles, États-Unis

Alfred Stieglitz, L’entrepont, 1907 ; photogravure, 33,5 x 26,4 cm ; The J. Paul Getty Museum, Los Angeles, États-Unis

 

Alfred Stieglitz [(1864-1946) photographe américain, galeriste, éditeur et promoteur de l’art moderne américain et européen, célèbre pour avoir contribuer à la reconnaissance du caractère artistique de la photographie] joue un rôle majeur dans l’histoire du pictorialisme américain : en 1902, il fonde le groupe Photo-Sécession qui défend de manière argumentée et cohérente l’expression personnelle dans la photographie. Toutefois, il se détourne du mouvement en faveur du modernisme.

Alors que le modernisme gagne toutes les formes d’art, Alfred Stieglitz, suivi par d’autres pictorialistes repentis, s’oriente vers un style documentaire (cf. Une histoire de la photographie # 4 : Frank Meadow Sutcliffe, The Mudlarks, vers 1880) favorisant l’abstraction. En quelques années, ce nouveau style, qui défend une photographie pure, produit quelques images phare – dont L’entrepont fait partie.

La photographie pure s’inscrit précisément en réaction contre le pictorialisme : elle s’attaque à celleux qui comparent le médium à la peinture au lieu de prendre en compte ses contraintes et possibilités propres. Par exemple, en Californie, le Groupe f/64 produit des images très nettes et précises à l’aide d’appareils grand format, en répudiant toute manipulation ; certaines images iconiques célèbrent ainsi la beauté et la pureté formelle du sujet, et frôlent parfois l’abstraction.

Cette image emblématique du début du XXe siècle représente un tournant dans la pratique d’Alfred Stieglitz réorientant une approche épurée et artistique vers le documentaire. La photographie est réalisée avec un Auto Graflex 10,1 x 12,7 cm, sur la dernière plaque de verre préparée dont il dispose sur lui : les lignes géométriques nettes insistent sur la séparation des classes sociales, tandis que le cadrage serré traduit un sentiment de claustrophobie éprouvé par les plus pauvres. Ainsi, l’image parvient à présenter une vision à la fois symbolique et littérale de la division des classes. Elle rend compte de la vie des classes populaires, voire défavorisées, et nous renseigne également sur le fonctionnement des groupes sociaux, leurs activités et leurs rituels, nous permettant ainsi de mieux comprendre les caractéristiques d’une société donnée – quoiqu’en continuelle évolution.

Étant donnés les mouvements sociaux de la fin du XIXe et du début du XXe siècle qui voient affluer par milliers, dans les villes en pleine expansion, des personnes issues de classes sociales défavorisées, on peut imaginer que la photographie d’Alfred Stieglitz annonce ici le début d’une nouvelle vie pour les passagers. En fait, il ne s’agit pas là de postulants à l’identité américaine, mais plutôt d’Européens à qui l’entrée dans le pays a été refusée et qui se voient forcés de regagner leur contrée d’origine au terme d’un long voyage de retour vers l’Est. Cette image véhicule donc un sentiment de désespoir plutôt que d’espérance et modifie la représentation de la pauvreté.