ville de Douarnenez centre
des arts A. Malraux

Alberto Korda, “ Che Guevara ”, 1960 | Eve Arnold, “ Malcolm X ”, 1961

Épreuves argentiques

USA. Illinois. Chicago. Malcolm X. 1961.

Alberto Korda, Che Guevara, 1960 ; épreuve argentique / Eve Arnold, Malcolm X, 1961 ; épreuve argentique

Dans l’histoire de la photographie, il ne faut pas plus d’un an après la vue du Boulevard du Temple, Paris (1838) réalisée par Louis Daguerre (1787-1851), puis le brevetage en 1839, la commercialisation et la diffusion du Daguerréotype pour qu’apparaissent les premiers portraits photographiques – qui nécessitent alors une patience considérable de la part des modèles. Heureusement, grâce au développement d’objectifs plus sophistiqués et à la diminution du temps d’exposition, la qualité des portraits s’améliore : Nadar (cf. Une histoire de la photographie # 2 : Nadar, Autoportrait, vers 1855) – qui n’est pourtant pas un pionnier de la photographie – perfectionne l’art du portrait en parvenant à suggérer le caractère de ses sujets et à se défaire des poses empruntées des premières réalisations. Plus tard, Hollywood, se sert du portrait photographique pour faire la promotion de ses stars et de leur vie de rêve. De son côté, la photographie de mode en fait un outil indispensable, et aujourd’hui, les portraits se répandent quotidiennement sur les réseaux sociaux.

Au sein du photojournalisme, un portrait photographique a le pouvoir de transformer une scène du quotidien en une image iconique, et une personne ordinaire en un personnage historique. Car une image possède parfois, à elle seule, le pouvoir d’influencer les pensées et les agissements du public. Et si le photojournalisme n’a pas pris le pouvoir aux puissants, il en a au moins donné (un peu ?) à celles et ceux qui s’y opposent. Alors, le portrait photographique devient un outil politique (outil de propagande prouvant la capacité des images à manipuler une population ou à rallier son soutien par exemple) pouvant jouer un rôle dans l’évolution des sociétés (cf. Une histoire de la photographie # 4 : Frank Meadow Sutcliffe, The Mudlarks, vers 1880). Tantôt, le photojournalisme produit des images d’événements exposés sous un angle contredisant celui du pouvoir en place, tantôt ses portraits photographiques deviennent un moyen essentiel de représenter les puissants, dont il renforce l’image publique (longtemps, la photographie confère à ses sujets une légitimité dont ils se servent pour asseoir leur pouvoir).

En 1960, lors d’une cérémonie organisée en mémoire de 136 victimes de l’explosion du cargo français La Coubre, chargé de munitions dans le port de La Havane, le révolutionnaire marxiste-léniniste et internationaliste argentin Ernesto Guevara (1928-1967) fait une brève apparition. L’expression du révolutionnaire frappe Alberto Korda (1928-2001) – qui réalise alors 2 clichés avec un Leica M2 et un objectif de 90 mm : son visage exprime force et défiance à la fois ; Le Che se trouvant sur une scène au-dessus du photographe, le portrait est réalisé en légère contre plongée – donnant au personnage une stature imposante et défiante.

En octobre 1967, après l’exécution d’Ernesto Guevara par l’armée bolivienne, l’éditeur italien qui avait acheté cette image en fait des affiches à la gloire du héros révolutionnaire. Le portrait d’Alberto Korda devient l’une des icônes * les plus marquantes du XXe siècle – soutenue par l’ensemble de sérigraphies créé un an plus tard par Andy Warhol (1928-1987), tout aussi iconique, artistique et commercial.

Avec une modestie constante, le photographe – qui, en révolutionnaire convaincu ne toucha pas un centime, ni ne réclama aucun droit d’auteur – déclare que son succès est dû en grande partie à la chance, et conseille aux jeunes photographes : « oubliez l’appareil, oubliez l’objectif, oubliez tout ça. Avec n’importe quel appareil à quatre dollars, on peut faire la meilleure des photos ».

Tout aussi iconique, le portrait informel Malcolm X, réalisé par Eve Arnold [1912-2012) en 1961 dans un moment de solitude est chargée de symboles qui définissent le militant politique : l’expression de Malcolm X (1925-1965), dont le visage est à demi dissimulé, reste énigmatique, mais sa montre, connotant la précision, suggère un certain sens de  l’organisation, tandis que la bague de Nation of Islam (organisation nationaliste noire et religieuse américaine), presqu’au centre de l’image, constitue un élément de définition de l’homme. Le portrait n’a rien de conventionnel mais confère au sujet une stature digne et imposante. Par la suite, Eve Arnold déclarera : « C’était un showman très intelligeant, apparemment très au fait de la manière dont il pouvait utiliser les images et la presse pour diffuser sa version de l’histoire ».

Considérant tous les sujets de manière égale, et sans ressentir la moindre intimidation face au pouvoir, Eve Arnold (première femme à faire partie de l’agence Magnum) réalise des portraits des grandes figure de ce monde autant que des plus démunis avec la même attention méticuleuse. En effet, quel que soit son projet photographique, Eve Arnold parvient à créer une relation forte avec ses sujets, de manière à comprendre leurs motivations les plus essentielles et à découvrir la meilleure manière de les saisir. Ainsi suivra-t-elle Malcolm X pendant un an (le porte-parole tout autant admiré que décrié de Nation of Islam) à la demande du magazine Life.

 

* Du grec eikon, qui veut dire « image », le terme « iconique » désigne l’image d’une personne ou d’un événement qui prend valeur d’exemple ou de symbole. ∆ Il n’existe aucun consensus sur ce qui constitue une photographie iconique : elle peut se définir par la manière dont elle est interprétée ou, à l’instar du portrait du Che Guevara, prendre un sens particulièrement important après la mort de la figure portraiturée – s’enracinant dans la conscience des générations suivantes – et définissant à jamais le personnage public qu’elle est devenue.